© SIGNES à L'ŒIL
En plus d’être directrice artistique de la Compagnie des Corps Bruts, vous êtes mime, danseuse et désormais interprète diplômée en Langue des Signes Française (LSF). Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Comment le chansigne est-il entré dans votre pratique artistique ?
Célia Chauvière. J'ai commencé la danse assez jeune, puis j'ai arrêté pendant longtemps. Je préférais la gymnastique et je passais beaucoup de temps à galoper sur les mains !
Après mon bac, j'ai voulu être comédienne, mais après quelques écoles, je me suis rendue compte que je n'étais pas faite pour ça, rien n'était fluide. Sur le plateau, je ne me sentais pas très solide en parlant, pas vraiment à ma place, je ne ressentais pas les choses. En parallèle à mes cours de théâtre, j'étais inscrite en Licence de psychologie et je m'ennuyais ferme. J'ai donc cherché une autre motivation et, un peu par hasard, j'ai fait un premier stage de Langue des Signes Française, puis un deuxième, puis un troisième. J'ai ensuite arrêté car entre-temps, j'ai arrêté le théâtre pour me diriger vers le mime, tout en reprenant la danse. Et là, tout a changé, je me sentais à ma place, transportée par ce que je voulais exprimer. Enfin, j'avais la sensation que tout dire était possible ! Après 3 ans en école de mime et 5 ans en Conservatoire, j'ai obtenu les diplômes et j’ai fondé La Compagnie des Corps Bruts avec pour objectif de créer ANA, le premier spectacle de la compagnie.
De temps en temps, pour m'amuser, j'essayais très maladroitement de traduire des chansons, comme ça, sans savoir que le chansigne existait. Je n'avais aucune connaissance, ni même conscience de la culture sourde. La langue des signes est revenue bien plus tard compléter le tout : il y a un moment où j'ai eu besoin d'une pause de création, de production en fait surtout !
Une pause, d'accord, mais pour faire quoi ? J'ai décidé de reprendre des cours de langue des signes, puis j'ai eu envie d'aller au bout. Objectif : intégrer un Master d'interprète. Et peu après, je me suis lancée en version chansigne. Je voulais expérimenter cette discipline, en ayant cette fois conscience que ça existait ! J'ai repris la compagnie en main et commencé, entre autres, à produire SIGNES à L'ŒIL.
Au fond, ce parcours est assez drôle car en vérité je suis dyspraxique ! Sans réfléchir, je confonds la droite et la gauche, et dois travailler beaucoup plus que d'autres afin de décortiquer le mouvement dans son ensemble pour le comprendre et l'exécuter correctement.
© SIGNES à L'ŒIL
Comme vous le mentionnez sur le site de la compagnie, il existe encore peu de possibilités d’accès à la culture entendante pour les personnes sourdes et, à fortiori, peu d’occasions pour les entendant·es d’accéder à la culture sourde. Pourquoi le projet SIGNES à L'ŒIL est-il une réponse à ce constat ?
C.C. SIGNES à L'ŒIL essaye d'être très éclectique dans le choix des chansons, passant d'un chanteur des années 60 à un groupe contemporain. L'enjeu pour nous est d'essayer de témoigner non pas uniquement d'un texte ou d'un rythme mais de tout l'univers qu'offre une chanson. Nous espérons que les personnes sourdes pourront être touchées, intriguées ou intéressées par ces chansons, et sentir que ce patrimoine leur appartient.
Certains entendants nous disent : « en vous voyant, j'ai mieux compris cette chanson ! ». Dans sa richesse, la Langue des Signes Française a sa part d'universalité, c'est ce que nous nous plaisons à démontrer. Nous souhaitons réunir les publics, dépasser les barrières des langues autour de nos créations chansignées.
France Gall, Mickey 3D, Zoufris Maracas, Edith Piaf, Stromae ou encore Léo Ferré… Comment constituez-vous le répertoire de SIGNES à L'ŒIL ? Quelles difficultés pouvez-vous rencontrer lors du travail de traduction et d’interprétation des morceaux avec les 4 autres artistes du projet ?
C. C. En général, je choisis les chansons et les propose à l'équipe. Ce sont des chansons, des musiques qui me touchent particulièrement par le texte, le rythme, ce que je perçois de l'univers qui s'en dégage. Au fond, je n'ai pas d'autres critères de choix que ma subjectivité et mon ressenti !
Plus rarement, Delphine, Aleksi, Isabelle ou Luca proposent des chansons, et je valide. C'est le cas de Est-ce que tu aimes ?, par exemple proposé initialement par Isabelle.
Le plus difficile, je crois, c’est de trouver des images au-delà des signes standards, d'aller au fond du sens pour trouver une correspondance la plus imagée possible en langue des signes. Mais cela reste un plaisir : pendant ce travail de traduction, nous échangeons, discutons, débattons. C'est toujours très intéressant et enrichissant.
Personnellement, j'ai toujours un peu d'anxiété quand je propose l'ébauche de la mise en scène et de la chorégraphie à l'équipe et que nous la concrétisons pour la première fois : Est-ce que ce que j'ai imaginé va fonctionner ? Comment allons-nous développer cette ébauche ? C'est toujours LE moment stressant !
© SIGNES à L'ŒIL
Au-delà du travail de création professionnelle, votre compagnie souhaite que chacun·e puisse expérimenter le « chansigne » et de cette façon, s’initier à la langue des signes. Ainsi, vous proposez des ateliers de découverte comme celui proposé à la communauté universitaire le 13 février prochain. Que souhaitez-vous transmettre au public à travers ces temps d'apprentissage ?
C.C. Nous vivons dans une société où bien qu'une très grande importance soit accordée à l'image renvoyée par l'aspect physique, les normes sont très strictes. Il y a peu d'espace pour se laisser aller, se laisser ressentir, se laisser exprimer des sensations ou des émotions par le corps uniquement. Que l'on soit sourd ou entendant, signant ou non, il est difficile de se défaire du carcan de la norme.
Dans mes ateliers, mon objectif est d'abord de montrer aux participant·es que l'essentiel est d'essayer, qu'il n'y a pas d'erreur possible, pas de faute. Au travers d'exercices, d'improvisations de théâtre physique, j'essaye de créer un espace de liberté où chacun·e peut se sentir en confiance, quel que soit son niveau, son aisance et sans jugement de la part de qui que ce soit.
Une fois cette bulle créée, je transmets un chansigne. D'abord la traduction signée, puis le rythme, puis l'émotion. Certains retiendront tout le chansigne, d'autres quelques signes seulement et d'autres auront tout oublié le lendemain. Ce n'est pas l'important. L'essentiel est, à mon sens, de ressentir, d'expérimenter, et d'être content de soi en sortant, cela laisse toujours une petite trace quelque part.
Si vous deviez choisir une vidéo pour partir à la découverte du projet SIGNES à L'ŒIL, ce serait…
C. C. Difficile de répondre… Les plus représentatives de notre travail sont sans doute celles où l'équipe est au complet... Peuple migrant ou Les Anarchistes ou Laisse tomber les filles. Mais j'aime beaucoup Bye-Bye aussi, et Partir ou Rester, et Vesoul aussi, et Comme un boomerang. Et Mon ami, mon frère, il est chouette celui-là ! Bref !
SIGNES à L'ŒIL présente "Laisse tomber les filles" de France Gall, interprétée en Langue des Signes Française par Aleksi Bernheim, Célia Chauviere, Luca Gelberg, Isabelle Florido et Delphine Saint-Raymond.
Paroles de "Laisse tomber les filles" :
Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Un jour c'est toi qu'on laissera. Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Un jour c'est toi qui pleureras. Oui, j'ai pleuré mais ce jour-là Non, je ne pleurerai pas ! Non, je ne pleurerai pas ! Je dirai c'est bien fait pour toi, Je dirai ça t'apprendra ! Je dirai ça t'apprendra ! Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Ça te jouera un mauvais tour. Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Tu le paieras un de ces jours. On ne joue pas impunément Avec un cœur innocent, Avec un cœur innocent. Tu verras ce que je ressens Avant qu'il ne soit longtemps, Avant qu'il ne soit longtemps. La chance abandonne Celui qui ne sait Que laisser les cœurs blessés. Tu n'auras personne Pour te consoler, Tu ne l'auras pas volé. Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Un jour c'est toi qu'on laissera. Laisse tomber les filles ! Laisse tomber les filles ! Un jour c'est toi qui pleureras. Non pour te plaindre il n'y aura Personne d'autre que toi, Personne d'autre que toi. Alors tu te rappelleras Tout ce que je te dis là, Tout ce que je te dis là. Alors tu te rappelleras Tout ce que je te dis là, Tout ce que je te dis là. Alors tu te rappelleras Tout ce que je te dis là, Tout ce que je te dis là. Alors tu te rappelleras Tout ce que je te dis là
LE CHANSIGNE
Le chansigne est une forme d'expression artistique qui consiste à exprimer les paroles d'une chanson traduites en langue des signes au rythme de la musique de cette chanson. Les paroles signées peuvent être mêlées à de la vision virtuelle ou à d'autres formes de danse.